Page 38 - Cahier Trouve-Tout-2012
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Jack, le trappeur intrépide qui tua un
En 1946, à l’hôpital général d’Ottawa, les médecins qui soignaient sur son lit de mort un vieil Irlandais de Maniwaki, eurent la surprise de voir sur son dos des traces de cicatrices tellement larges et profondes qu’elles ne pouvaient qu’avoir été causées par une bête sauvage d’une férocité in- croyable. Les cicatrices, qui s’in- crustaient profondément dans la chair, étaient fort anciennes. Jack Lannigan, qui ne parlait guère, refusa de répondre aux
questions.
Né en 1875 sur l’île Lannigan,
au milieu de la rivière Gatineau, où ses parents, les immigrés irlandais Martin Lannigan et
Catherine Grant, exploitent une vaste ferme, Jack grandit avec ses frères au dur labeur des champs à défricher et à culti- ver une terre vierge. Chaque automne, chaque printemps, les bûcherons et les draveurs de la Gatineau aff luaient par centaines sur les rivages de la rivière. Jeune, il s’engagea dans les chantiers des Hamilton, puis des Edwards, dont le com- mis principal, John Alexander Cameron, avait ses installations tout près de la ferme
des Lannigan et du petit hameau de Lac- Bitobig, près de Bouchette, qu’on appelait alors le Coin Flambant.
Ce nom de Coin Flambant, calqué sur un hôtel du faubourg Saint-Laurent, à Montréal où Jos Monteferrand avait ses quartiers et où les tournois de boxe an- glaise l’avaient rendu célèbre, était en fait celui d’une petite auberge où logeaient les bûcherons et draveurs des chantiers des Hamilton, qui faisaient chantier sur le grand lac Trente-et-Un milles et ses af- f luents, et dont le bois était f lotté de lac en lac jusqu’à la Gatineau, à la ferme des Six. Jos Montferrand aurait lui-même suggéré ce nom pour la petite auberge...
Les frères Lannigan furent bientôt connus et reconnus pour leur triste répu- tation de buveurs invétérés et de bagar- reurs invincibles dans le petit établisse- ment. Il était arrivé, disait-on, devant l’incroyable fureur de ces jeunes colosses et alors qu’aucun adversaire ne pouvait les maîtriser, que l’aubergiste doive quit- ter son établissement pour traverser sur l’île et revenir avec la vieille Catherine, la mère des indomptables Irlandais, la seule autorité devant qui pliaient les frères Lannigan.
Fort comme un bœuf, d’une probité
et d’une loyauté sans borne envers son patron John Cameron, Jack Lannigan était devenu son homme de confiance et il le suivait partout dans ses déplace- ments. Un jour que la crue des eaux avait emporté un pont de bois, en pleine forêt, Jack abattit et ébrancha un grand pin qu’il coucha au dessus des rapides déchaînés. Âgé et pesant plus de 260 livres, John Cameron ne put se résoudre à traverser la rivière folle sur un simple tronc d’arbre instable. Devant ses hommes réunis, Jack souleva son patron, le mit sur ses épaules comme un simple bagage, et il traversa sans hésiter le cours d’eau...
Mais son exploit le plus célèbre, celui qui l’aura immortalisé dans l’imaginaire des hommes des chantiers de la Gatineau, est celui-ci : Un jour qu’il faisait le tour de sa ligne de trappe, proche de l’un des chantiers d’en haut du Baskatong, Lannigan surprit un ours en train de s’en prendre à son gibier. La prudence aurait voulu que l’Irlandais recule, abandonne son piège et sa proie, mais un piège et une fourrure, pour cet homme droit, habitué aux privations comme au respect de la propriété, c’était beaucoup... et il n’envi- sagea pas même cette possibilité. L’ours n’était pas moins têtu, et encore moins
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Les SECRETS de la Vallée... d evoil es